vendredi 29 juin 2007

Une critique de "Lady Chatterley" de Pascale Ferran

Avec impudeur et délicatesse, Pascale Ferran réinvente une lady Chatterley éprise avant tout de liberté.

Depuis le temps qu’elle hante les bibliothèques, on croyait la connaître, cette lady Chatterley née de l’imagination de D.H. Lawrence. Qu’on ait lu ou non l’une des versions de ce fameux roman (Lawrence en a écrit trois différentes), on en connaît l’histoire : dans les années 20, en Angleterre, une jeune femme de la haute société trompe son ennui et son époux infirme avec son garde-chasse. D’où de grands moments d’érotisme, et, dans l’imaginaire collectif, une héroïne peu à peu réduite à un parangon d’adultère. Le prototype de l’aristo-couche-toi-là fricotant avec le petit personnel. Les nombreuses adaptations ou variantes cinéma, de la version de 1955 signée Marc Allégret avec Danielle Darrieux à la bluette érotico-kitsch de Just Jaeckin, avec Sylvia Kristel, en 1981, ont renforcé cette imagerie, chacun à leur manière.

Mais, cette fois-ci, le retour de la belle Anglaise coïncide avec celui, très attendu, de Pascale Ferran. Après onze ans d’absence et deux projets qui ont tourné court, la réalisatrice inspirée de Petits Arrangements avec les morts, en 1993, et de L’Age des possibles, en 1995, rend à Constance Chatterley ce qui lui appartient, ou plutôt ce qu’elle s’approprie peu à peu dans le roman : la liberté.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une femme qui s’évade pour aller à la rencontre d’elle-même. De la clarté grise, étouffée des pièces du château au miroitement de la forêt environnante, le film se construit minutieusement sur ce franchissement. Sur ce va-et-vient entre le dedans et le dehors, entre l’épouse résignée et la promeneuse qui s’enhardit, bientôt amante éblouie. C’est comme un thème musical, un refrain auquel Pascale Ferran ajouterait progressivement quelques notes de plus. La traversée de la forêt, répétée encore et encore, structure le récit autant que le personnage : chaque fois, Constance doit repartir de zéro, refaire les pas, y compris dans sa relation physique et affective avec Parkin, le garde-chasse.

C’est une histoire d’apprivoisement entre deux êtres que tout sépare, qui doivent en quelque sorte constamment refaire connaissance pour accéder l’un à l’autre.
La première rencontre, scène cruciale et très belle, se déroule dans la lumière frissonnante de l’automne. Constance surprend Parkin torse nu, en train de se laver près de sa bicoque au milieu des bois. Elle fuit, éperdue, choquée comme peut l’être une femme de son époque et de sa condition, mais aussi profondément troublée. Dès ce premier regard, tout est dit, la transgression, la force et l’incongruité du désir. C’est vers ce corps étranger, vers cette présence que Constance avance désormais, de plus en plus près, d’une échappée à l’autre.
A l’image de Parkin (Jean-Louis Coulloc’h, formidable présence), au visage bourru et fatigué, au physique terrien, chacune des étreintes est étonnante. La cinéaste réussit l’exploit d’être à la fois lyrique, délicate et crue. Les corps s’empoignent, se mélangent, et pourtant gardent intacte une ineffable et secrète intimité. On regarde naître un dialogue physique, qui s’affine et s’enrichit peu à peu. Pascale Ferran établit avec ses personnages une sorte d’empathie respectueuse, comme lorsque autrefois elle évoquait le deuil (Petits Arrangements avec les morts) ou les questionnements d’une génération (L’Age des possibles).

Cet amour s’épanouit dans une nature radieuse, essentielle, magnifiquement filmée, où chaque saison vient déposer ses senteurs, ses murmures. L’eau fraîche de la rivière, l’odeur de l’humus, la lumière entre les feuilles, tout cela participe à l’envol de Constance. Chaque herbe, chaque arbre est vivant et contribue à la jouissance de l’héroïne, comme dans une célébration joyeusement panthéiste. Dans cet écrin feuillu, une actrice se révèle, frémissante et hardie : Marina Hands porte le film avec une émouvante générosité. Elle offre à lady Chatterley son délicat maintien aristocratique, face au massif et plébéien Parkin.
Situé dans une région minière de l’Angleterre, le film, comme le roman, s’étoffe en effet d’une dimension politique : Clifford, l’époux patron, s’enferme dans ses certitudes et son sentiment de supériorité, héros fragilisé et intransigeant, interprété tout en finesse par Hippolyte Girardot. Figé dans son arrogance sociale, ce personnage est à lui seul représentatif de la classe dominante de son époque. Face à lui, lady Chatterley se révèle une femme étonnamment moderne.


Cécile Mury
Télérama n° 2964 - 4 Novembre 2006

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